[CABEE Fiche n°3] Se laisser surprendre par le diagnostic
Article écrit le 03/02/2015 par , catégorie RessourcesQuestionner la commande pour partir sur de bonnes bases
Le diagnostic, à la fois technique et humain, et l’analyse qui suit, doivent être menés avec ouverture et sans concession pour garantir un accompagnement ciblé.
Dans la consultation initiale du projet CABEE, il était demandé « d’identifier et de mettre en place des solutions pour influer sur le comportement des utilisateurs de bâtiments performants et d’augmenter la connaissance de l’impact des utilisateurs sur la performance ».
3 hypothèses sont sous-jacentes à cette commande :
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travailler sur de bâtiments réellement performants ;
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être en mesure d’évaluer cette performance, et les éventuels écarts à une performance de référence ;
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considérer qu’il existe une relation directe observable et modifiable entre les comportements réels des occupants et la performance du bâtiment.
Or, pour chacun des 5 bâtiments qui ont servi de support à la mission, nous avons rencontré certains écueils qui invalident ces hypothèses. Il faut dire que la phase d’identification des bâtiments a été difficile.
Diagnostic : faire le constat des difficultés d’évaluer la performance
Les bâtiments cibles devaient présenter un niveau de performance énergétique réelle en dessous du niveau attendu (niveau de référence établis à la conception). Pour définir le niveau de performance attendue, les seuls chiffres disponibles – lorsqu’il y en avait – étaient les résultats de calcul réglementaires de type RT2005. Hélas, ces calculs n’ont pas pour objectif de correspondre à la réalité :
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ils ne prennent en compte que les 5 usages réglementaires et ignorent notamment la bureautique, l’électroménager, l’éclairage ;
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ils utilisent des scénarios conventionnels d’usage, souvent éloignés du réel.
Et quand bien même cela aurait été possible, nous n’aurions pas été beaucoup plus avancés : hormis sur l’un des bâtiment, il n’y avait pas de possibilité de suivre et mesurer les consommations et situations réelles du bâtiment.
En général non instrumentés, ces bâtiments ne font pas l’objet d’un suivi systématique des consommations (d’ailleurs, le personnel n’est en général pas formé). Il arrive même souvent que le suivi des factures soit impossible, du fait de la séparation des différents acteurs.
Ainsi, dans aucun bâtiment cible nous n’avons pas pu à la fois établir les niveaux de performance attendus et savoir où on en est en terme de consommation réelle. Il s’agit peut-être là d’un des principaux enseignements de la mission : l’impossibilité d’évaluer l’ampleur d’éventuels dysfonctionnements dans les consommations énergétiques.
Et ce malgré l’importance des enjeux, car dans certains cas, il s’agit d’une incapacité à déterminer si des charges énergétiques de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an sont justifiées ou non.
Le vécu des occupants : élément capital pour l’analyse
Au vu des observations précédentes, on comprend qu’il est bien difficile de « connaître l’impact des occupants sur la performance » , ou d’identifier les usages « dysfonctionnels ».
Cela étant dit, s’ils sont écoutés, les occupants ont beaucoup d’observations et de remarques à formuler, en ce qui concerne le bâtiment. Cela concerne avant tout le confort d’utilisation :confort hygro-thermique et acoustique, le sentiment de sécurité, la signalétique, etc. Pour beaucoup, il est tout simplement incompréhensible qu’un bâtiment annoncé ou perçu comme performant puisse être inconfortable.
Une telle observation appelle deux remarques :
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c’est l’une des mission fondamentale d’un bâtiment que de fournir une ambiance « confortable », ou du moins de donner à l’occupant la capacité d’agir, dans une certaine mesure restant souvent à préciser, sur son confort. Si cette mission n’est pas assurée, fut-ce pour des raisons de performances énergétiques, le bâtiment est clairement vécu comme « dysfonctionnel ».
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le signalement de situations inconfortables sont fréquemment la conséquence de problèmes techniques importants du bâtiment. En réalité, les plus gros dysfonctionnements relevés sur le bâtiments étaient d’ordre techniques, et pouvaient se déceler lorsque les comportements adaptatifs des occupants touchaient les limites de l’acceptable1.
On a pu observer que partout où l’occupant n’avait pas de prise sur son confort, l’inconfort qu’il pouvait vivre se transformait en défiance vis à vis du bâtiment et en tensions relationnelles au quotidien.
Ne pas tomber dans la facilité de l’occupant « bouc émissaire »
Les bâtiments étudiés, récents et censés être bien conçus, sont exploités depuis plusieurs années. Par conséquent, plusieurs raisons empêchent de formuler l’hypothèse que la contre performance est causée par le bâtiment en lui-même :
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techniques : suivi et maintenance insuffisante, peu de connaissance sur le comportement du bâtiment ;
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politiques : il est délicat d’admettre qu’un bâtiment présumé performant, pour lequel des financements ont pu être mobilisés, n’est finalement pas si vertueux que cela (et encore plus délicat d’admettre qu’il puisse y avoir des problèmes de confort) ;
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organisationnelles : un bâtiment est présumé, au bout d’un an, être livré en « parfait état d’achèvement ». Au-delà de la levée de réserve, les équipes de maîtrise d’œuvre ne sont plus engagées sur le projet, et il n’y a donc personne vers qui se retourner en cas de dysfonctionnement prolongé, même s’il est dû à une réalisation ou une conception défectueuse.
Dans ce contexte, l’occupant devient un responsable a priori des contre-performances, plus simple à incriminer que le bâtiment dans lequel suffisamment d’argent a été investi.
Or, après notre diagnostic technique et humain :
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sur aucun des bâtiments étudiés nous n‘avons pu affirmer que les occupants impactaient la performance énergétique des bâtiments par leur usage ;
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pour 2 bâtiments sur 5, il y avait clairement des dysfonctions techniques, certainement à l’origine de contre-performances et d’inconfort des occupants.
L’art de trouver le « bon » problème à résoudre
Nous nous garderons bien entendu de généraliser ces leçons : l’échantillon (bâtiments publics isérois construits ou rénovés récemment) ne saurait être représentatifs de l’ensemble du parc des bâtiments performants.
C’est symptomatique de deux mondes qui trop souvent s’affrontent : le technicien et l’occupant.
Quoiqu’il en soit, on voit que dans un contexte où la technique n’est pas maîtrisée, l’occupant en paye souvent le tribu. Et le problème à résoudre, au-delà de l’aspect énergétique, devient vite un problème social ou organisationnel.
Les 4 idées à retenir
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Diagnostic et analyse : à mener sur les plans techniques et humains pour trouver le « bon » problème à résoudre
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Évaluer la performance : questionner les calculs réglementaires et le suivi énergétique en place
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Le vécu et l’adaptation des occupants : clés de voûte d’une analyse sincère
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L’occupant souvent désigné à tort comme responsable des contre-performances : enjeux techniques, politiques, organisationnels et financiers
1Par exemple lorsque l’exploitant constate la présence de « soufflants » électriques dans des bureaux, ou des bouches de ventilation bouchées volontairement dans les logements.