Outils numériques : de la technique ou du sens ?

Article écrit le 18/03/2014 par Cynthia Vasiliu , catégorie Ressources

Régler son chauffage à distaniconece, comparer ses factures d’eau entre voisins en 2 clics, naviguer virtuellement dans son bâtiment pour en comprendre les systèmes techniques, partager des informations entre locataires, copropriétaires, bailleurs via son smartphone…

Voilà des progrès en passe d’être réalité : des plates-formes collaboratives et des réseaux sociaux adaptés à la vie dans un bâtiment « performant » ne vont vraisemblablement pas tarder à émerger.

Il est aisé de reconnaître les nombreux avantages de ce type d’outil.

  • Il permet l’information aux usagers sur leurs consommations de fluides, élément essentiel pour la maîtrise de l’énergie.
  • Si les dispositifs techniques du bâtiment sont contrôlables par une telle plate-forme, leurs réglages en seraient facilités par l’occupant.
  • Les dynamiques de réseaux sociaux peuvent être puissantes pour partager des informations, transformer les liens en rencontres réelles, et faciliter ainsi l’émergence d’un collectif d’habitants : échange de services, mutualisation d’objets, organisation d’événements…
  • Ces plates-formes peuvent aussi aider à porter les voix d’usagers qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer, par exemple lors de consultations ou concertations organisées par des bailleurs.

C’est dans l’air du temps, c’est fonctionnel, c’est ergonomique – et on part de loin sur ce domaine pour les dispositifs techniques actuels. Alors, on signe où ?

papillon

Minute, papillon

Prenons donc le temps de la réflexion pour revenir sur le sens.

Un outil est un moyen au service d’un objectif. Si l’objectif recherché est l’efficience des bâtiments sur le plan énergétique, alors la question se pose de la pertinence de cet outil pour « travailler » sur l’usage.

À Vie to B, nous défendons des changements d’habitudes inspirés notamment par une prise de conscience des enjeux environnementaux.

Or, faire différemment implique de passer d’abord par une (r)évolution de l’être. En d’autres termes, il est vain de vouloir changer les choses sans se changer soi.

De notre système de pensée actuel découlent des modes de vie qui outrepassent les limites écologiques de notre planète sans être pour autant satisfaisants du point de vue social (inégalités, individualisme, stress).

Nombreux sont ceux qui continuent de parier sur le progrès technique et technologique pour trouver une issue à nos problèmes. Les faits nous montrent chaque jour plus intensément à quel point ce pari est risqué. Einstein affirmait que l’on ne peut résoudre un problème avec le même type de pensée que celui qui l’a créé.

 cambio

Changer ?

Il est grand temps de pacifier notre relation à l’environnement au sens large, et de passer d’une logique court-termiste d’exploitation et de compétition vers une logique de sobriété et de coopération. Cela s’entend pour notre rapport à la nature mais aussi entre humains.

C’est ce changement (de conscience et de pratique) qui se joue quand on parle d’usage dans les bâtiments. Et accompagner cette transformation nécessite d’écouter activement1, de créer des dynamiques de coopération et de créativité, de faire circuler les émotions, de saisir les freins et les leviers, de co-construire une vision partagée et des actions portées par les usagers.

Et pour ça, un accompagnement socio-technique ne peut être remplacé par des outils numériques. C’est lui qui en amont donne le sens pour une bonne utilisation d’outils, numériques ou non.

Ainsi la connaissance des consommations d’énergie est utile à l’efficacité énergétique si les utilisateurs sont déjà dans une démarche de sobriété2.

En outre, n’oublions pas les limites que présentent les plates-formes numériques :

  • L’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) conduit à des impacts très significatifs sur l’environnement : pollutions, extractions de matières premières. En 2012, la Global e-Sustainability initiative (Gesi) calculait que les TIC émettaient 2,3 % des émissions globales de gaz à effet de serre, un chiffre proche de celui de l’aviation3.

  • Les interactions numériques ne peuvent remplacer les librainens humains dans leur richesse et leur complexité. Rappelons qu’une faible part de l’appréciation que l’on se fait d’une personne passe par la communication verbale4; cela amène à relativiser l’importance de nos réseaux d’amis basés sur des échanges virtuels.

  • A l’extrême, nous assistons à un asservissement de l’homme par les terminaux qui nous sollicitent à chaque instant, souvent pour des échanges futiles. La fin et les moyens sont ainsi confondus.

  • En ce qui concerne la régulation des dispositifs techniques, la complexité ajoutée rendrait les systèmes plus coûteux, plus complexes et moins robustes, à l’heure où les technologies en place sont loin d’être arrivées à maturité.

Une fuite en avant technologique ?

L’utilisation de l’outil numérique s’inscrit dans la mouvance de production de bâtiments dits intelligents5, qui incite à continuer de concevoir des dispositifs techniques sans se confronter aux usagers, sans avoir à questionner les pratiques habituelles. La sociologue M.C. Zélem avance même que la technologie semble exclure l’homme et le réduire à un élément technique6.

Le vrai enjeu n’est-il pas justement dans l’intelligence des utilisateurs, dans leur appropriation des systèmes et leur organisation, avec des niveaux de responsabilités différents ?

Bien entendu, cela questionne l’objectif visé : est-ce la performance énergétique ? Cet axe a été privilégié dans les récentes évolutions du secteur du bâtiment, parfois au détriment du confort, notamment. En effet, beaucoup se sont rendus compte des limites du « saucissonnage » des problèmes suite aux problématiques de qualité de l’air intérieur dans les bâtiments étanches à l’air.

Cela met en évidence une représentation techno-centrée du bâtiment par des ingénieurs qui voudraient neutraliser le facteur humain. Sauf que l’humain est, par définition, imprévisible, changeant, et pas toujours rationnel… Aussi, souhaitons-nous des utilisateurs au service du bâtiment ou un bâtiment au service des utilisateurs ?

Ces questions ont été largement abordées lors de la journée « Bâtiment intelligent et qualité d’usage » en décembre dernier à Dijon7.

Une utilisation à bon escient

Le risque des outils numériques se trouve dans la surestimation de leur potentiel de changement social par ceux qui comprennent mal les rouages du changement et de l’usage.

Ce sont de formidables outils s’ils sont utilisés… avec intelligence. C’est à dire dans le cadre d’un accompagnement humain collectif à même de déterminer notamment :

  • Le bon dosage d’outils numériques pour chaque opération, en fonction des objectifs et de la culture des acteurs impliqués.

  • Les libertés et responsabilités des occupants. Doivent-ils devenir des « gestionnaires » de leur espace ? Qui pilote et est garant d’une utilisation efficiente du bâtiment ?

Quelle direction choisir ?

Ces réflexions vont dans le sens de cette révolution conceptuelle nommée « low tech8» qui privilégie les innovations sociales aux innovations technologiques. Le low tech est de plus en plus en vogue dans le domaine de l’architecture9.

Tout cela questionne le projet de société dans son ensemble. Les multiples crises que nous traversons nous incitent à faire une pause10 pour choisir vers quel futur désirable nous souhaitons nous orienter.

De quoi prendre le temps de rechercher du sens dans notre action et de l’authenticité dans nos relations, et freiner ce monde qui tourne toujours plus vite.

Et vous, qu’en pensez-vous ? On en discute… sur la toile.
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Grand merci à Perrine Moulinié, animatrice à Bourgogne Bâtiment Durable pour sa contribution dans cet article.

1 Cf dernier Article Vie to B sur la communication double flux.

2 G. Brisepierre, C. Beslay, T.Vacher, JP. Fouquet : « L’efficacité comportementale du suivi des consommations en matière d’économie d’énergie dépend des innovations sociales qui l’accompagnent » juillet 2013. Télécharger la synthèse.

3 Plus d’infos dans l’excellent magazine LaRevueDurable qui a publié tout un dossier sur ce sujet en 2013 (numéro 49)

4 Seulement 7%, selon le travail de A. Mehrabian, professeur de psychologie Iranien, qui l’a rendu célèbre. Le reste de la communication passerait par l’intonation (38%) et le langage corporel (55%).

5 Cet abus de langage (un objet ne peut être doté d’intelligence) atteste d’une posture favorisant la technologie à un travail sur l’usage.

6 Cf sa présentation « Plus de technologie ou moins de technologie ?» de février 2013.

7 Cette « journée technique » passionnante organisée par Bourgogne Bâtiment Durable le 12 décembre 2013 a donné lieu à : un cahier technique, des vidéos de librement accessibles de tous les intervenants, et même un article de Vie to B.

8 Cf ce document publié par Econovateur

9 L’architecte Lyonnais Thierry Roche fait partie de ses défenseurs.

10 Le site La Grande Pause nous y invite, lui aussi.

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